G. Andrey: L’histoire de la Suisse pour les nuls

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Titel
L’histoire de la Suisse pour les nuls.


Autor(en)
Andrey, Georges
Erschienen
Paris 2020: Editions First
Anzahl Seiten
586
von
Jean-Pierre Villard

Les trois éditions de cette histoire de la Suisse affichent un tirage cumulé de plus de 40’000 exemplaires. Beau résultat et preuve que les Suisses se passionnent pour l’histoire de leur pays. L’ouvrage sort dans une collection qui, soit dit en passant, n’est nullement destinée «aux nuls» mais bien plutôt aux amateurs éclairés, aux honnêtes femmes et hommes de notre temps. Et il n’en manque pas, fort heureusement.

L’auteur, servi par une plume élégante, sait rendre compréhensible ce qui peut paraître compliqué pour le profane. Il prend soin de définir de manière claire et précise les termes techniques qu’il emploie, ce que le lecteur, étranger ou peu au fait des institutions du pays, lui saura gré. Mais vulgariser ne signifie pas se contenter de répéter ce que l’on aura glané dans des manuels plus spécialisés, bien au contraire. Georges Andrey met l’accent sur l’histoire politique, une histoire qui se construit dans son contexte européen, au carrefour des trois grandes langues que ce pays partage avec ses voisins. Voilà qui constitue une approche novatrice. Pour lui, la Suisse n’est pas un cas à part; elle est profondément européenne, à commencer par sa géographie. Tout comme l’Europe, la Suisse est à la fois une et diverse.

Aux origines de la Suisse, il y a l’alliance de trois cantons. Mais aussi Guillaume Tell, héros de la liberté en Suisse... et dans le monde. Pour l’auteur, il n’est pas vain de se demander si le personnage appartient à l’histoire ou à la légende. Grosse déception lorsqu’en 1760 le Pacte fondateur est retrouvé à Schwytz. Tell ne figure pas dans le document. Voilà qui ne constitue pourtant pas une preuve de sa non-existence. À ce jour, la seule réponse qui peut être donnée à la question de l’historicité du personnage est: nous ne savons pas. Georges Andrey partage cette position avec Jean-François Bergier, pour qui l’existence de Tell n’est pas invraisemblable. Nos connaissances sur le monde alpin au Moyen Âge progressant, qui sait si Clio ne pourra pas un jour fournir une réponse qui satisfasse notre désir de clore ce dossier.

Georges Andrey innove également en rendant leur place aux femmes, non seulement à celles du XX e siècle mais à celles de temps beaucoup plus anciens. Au XV e siècle, Dorothée de Flüe élèvera seule les dix enfants qu’elle a eus avec Nicolas, lorsque celui-ci se retire du monde et jouera le rôle que l’on sait. Non seulement Dorothée accepte la chose, mais elle soutient son mari. Katharina von Zimmern, dernière abbesse de Zurich, acquise à la Réforme, prône le dialogue et la modération. À Genève, Marie Dentière, épouse du réformateur Antoine Froment, revendique, en 1539, des droits réservés aux hommes. Marie de Nemours (1625–1707), unique souveraine de la principauté de Neuchâtel, résiste aux pressions qui, au nom de la loi salique, visent à l’empêcher de régner; elle sera une souveraine appréciée de ses sujets. Julie Bondeli, Isabelle de Charrière et Anna Barbara Schulthess animent sous les Lumières des salons qui font florès. La Jurassienne Mariane Prudon, dite la Sans-Culotte, n’occulte pas son adhésion au jacobinisme. Marie Goegg-Pouchoulin fonde en 1868 l’Association internationale des femmes à Genève. Margarethe Faas-Hardegger revendique au début du XXe siècle le droit à l’amour libre, à la maternité consentie, à l’avortement légal et aux droits politiques pour les femmes. Enfin Lydia von Auw, théologienne et médiéviste, résistante antifasciste, participe à la résistance intellectuelle qui s’organise en Suisse; elle s’éteint à Morges en 1994. Qui les connait, hormis quelques spécialistes? Leurs héritières ont participé à la grève des femmes du 14 juin 2019.

Georges Andrey fait une place aux soulèvements qui ont lieu avant la naissance de la République helvétique. En 1723, Davel réunit des troupes afin de libérer son pays. Trahi par les siens, plus précisément par les édiles lausannois, il périt sur l’échafaud. Le Jurassien Pierre Péquignat lutte contre la suppression des franchises, voulue par le prince-évêque; il est exécuté en 1740. En 1737, une prise d’armes, menée par la bourgeoisie, a lieu à Genève. En 1755, comme elle l’avait fait en 1646, la Léventine se soulève contre son maître uranais. Aidé de contingents fédéraux, Uri a la main lourde; les franchises sont supprimées et les trois responsables de l’insurrection décapités. En 1767, toujours pour des raisons fiscales, Neuchâtel s’émeut. Le roi de Prusse, sagement, renonce à sa réforme. C’est le seul cas où les protestataires sont satisfaits. En 1781 le Gruérien Nicolas Chenaux, à la tête de 2000 paysans, assaille la ville de Fribourg afin de renverser le régime patricien. En fuite, Chenaux est assassiné par l’un des siens, appâté par la récompense promise à qui le livrerait mort ou vif.

L’auteur met en exergue l’apport de Napoléon Bonaparte et de la France à la naissance de la Suisse moderne, une Suisse plus respectueuse de ses minorités. La «consulta», qui débouche sur l’Acte de médiation, est à l’origine de la Suisse plurilingue; avec l’érection en cantons de Vaud et du Tessin, le français et l’italien deviennent, avec l’allemand, langues de la Confédération, quand bien même l’Acte de médiation est muet à ce sujet. Vision novatrice là aussi et qui n’est pas toujours acceptée dans le landerneau des historiens. Or, qu’on le veuille ou non, la Suisse issue de la Médiation a une dette envers Bonaparte qui lui a apporté paix et stabilité.

Georges Andrey analyse le rôle de la Suisse durant les deux Guerres mondiales, n’occultant ni les zones d’ombre, ni les marques de solidarité dont fit preuve la population. Il clôt son récit sur les dernières élections législatives fédérales marquées par une percée des femmes, des écologistes et des jeunes.

Vulgarisateur Georges Andrey? Oui, mais pas que. Son ouvrage est d’ailleurs utilisé au secondaire supérieur et même dans certains séminaires universitaires.

Zitierweise:
Villard, Jean-Pierre: Rezension zu: Andrey, Georges: L’histoire de la Suisse pour les nuls, 3ème édition, Paris 2020. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (2), 2021, S. 374-375. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00088>.

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